8 septembre 2015

Michelsberg aux temps néolithiques

L'aspect le plus méconnu de la forêt de Soignes, comme vous pourrez le lire ici, est que la presque totalité de ce qu'il en reste aujourd'hui n'a jamais fait l'objet de reboisement sur des terres autrefois déboisées pour être affectées à d'autres usages.
Ce qui pourrait ne ressembler qu'à un détail a pourtant des conséquences importantes qui font de la forêt de Soignes un site exceptionnel : cette couverture forestière permanente a permis de conserver les traces de l'histoire géologique, pédologique, topographique, hydrographique et humaine de cette région, de la préserver des perturbations liées à l'agriculture ou l'aménagement du territoire. Il en résulte que notre belle forêt constitue littéralement une bibliothèque à ciel ouvert!
Un témoignage majeur de cette particularité est le site néolithique de Michelsberg.
Il y a de cela 7000 ans était établi un village abritant une communauté humaine appartenant à la culture de Michelsberg. Nous sommes au Néolithique et c'est le début de la sédentarisation de l'Homme. A quoi pouvait bien ressembler ce village? Il semble que l'image qui s'en rapproche le plus, en tout cas dans mon esprit, pourrait être le village d'Astérix : des maisons construites autour de poteaux enterrés, des toits de roseaux, rempart en bois et des fossés de défense.


Surface occupée par le camp néolithique Michelsberg
Evolution de la forêt de Soignes depuis la carte de ferraris (1770-1778) jusqu'à aujourd'hui



 
La surface de 9ha occupée par le camp Michelsberg, dans le triage des Bonniers, sur le plateau séparant les vallons du Vuylbeek et du Karegat (abritant les étangs du fer à Cheval, des Enfants Noyés et du Clos des Chênes), présente une forme elliptique dont deux tiers se trouvent côté forêt (1a), une bonne partie du tiers restant - à l'exception d'une partie restée boisée (1b) - ayant subi les effets des profondes modifications de territoires consécutifs à l'aménagement du parc Tournay-Solvay, du domaine des Silex (tiens, donc! des silex) et de la ligne de train (L161) reliant Bruxelles à Luxembourg.
C'est au cours de ces modifications de terrain qu'ont été mis à jours les artéfacts témoignant de la présence de cette communauté - pièces d'outils en silex polis, poteries et trous de poteaux attestant de l'existence de ce site.
Légendes: 1a et b, sité préservé; 2a, vallon des Enfants Noyés; 2b, vallon du Vuylbeek; 3, parc Tournay-Solvay; 4, domaine des Silex; 5, clos des Chênes; 6, ligne 161





Aujourd'hui, il est facile de circuler sur ce site en toute ignorance de son passé : ce qu'il en reste se trouve majoritairement caché dans son sol : traces des trous de poteaux des habitations et des remparts, profils de sols et plus que probablement des artéfacts. Les dernières fouilles archéologiques entreprises lors de l'élargissement de la ligne 161 de la SNCB ont d'ailleurs permis d'approfondir les connaissances de l'étude chronologique des profils de sols et de la botanique, ainsi que de préserver de nombreux artéfacts (cfr le rapport des fouilles).
Pour le promeneur obsérvateur, en revanche, il reste les reliefs des fossés et levées de terres qui en assuraient la défense, restés visibles car épargnés de l'érosion et du nivellement grâce à la couverture forestière. Les courbes de niveaux sur la carte ci-dessus en témoignent.
Artéfacts : poteries et silex polis



Reliefs des levées de terres (A) et des fossés (B) de défense du camp néolithique
A gauche, côté sentier du Vuylbeek, à droite, côté chemin des Deux Montagnes

Aujourd'hui, ce site archéologique majeur pour la région bruxelloise est classé, faisant partie d'une réserve archéologique, et bénéficie d'un plan de gestion spécifique. Je serai amené à en reparler dans un futur proche.

Je vous invite à découvrir ci-dessous un conte qui m'a été confié par son auteur, S.Butaeye, ancien surveillant forestier et par ailleurs guide nature, passionné par la grande et les petites histoires de la forêt de Soignes, et bien documenté.

Ursila de Michelsberg

"Ursila avait récolté une bonne quantité de mûres, de baies de sorbiers, des rhizomes ainsi que des bulbilles de ficaires. Comme trophée de leur expédition, les chasseurs rapportaient un grand aurochs et une fête se préparait dans le village. Elle remonta le sentier parmi les prêles queue-de-cheval qui lui caressaient les mollets.


Les trois fossés dirigés vers le Nord-Est se découpaient sur la pente herbue. Afin de protéger leur village, les levées de terre armées de pieux faisaient de cet endroit une fortification de type 'éperon barré'.

Elle passa les fossés profonds de deux mètres et larges de six enjambées.
Derrière la porte des barricades apparaissaient de longues cabanes à toits de roseaux, divisées en deux et pourvues d'un foyer surmonté d'une peau d'ours. Les habitants de ce village se nommaient le "Peuple des Ours", ils étaient reconnus pour leur fin travail de taille du silex. Le vieil et sage homme qui parlait aux esprits portait sur sa poitrine des cicatrices de griffes d'ours.
Des peaux de bêtes fermaient l'entrée de son logis. Ursila déposa, près du cercle de pierres qui ceinturaient le feu, les outres qu'elle avait remplies au ruisseau. Le feu éclairait doucement les courbes délicates de son cou ornées d'un collier de corail et de coquillages.
Dehors, le ciel s'enflamma de rouge, de pourpre et de mauve, les arbres qui changeaient déjà de couleur n'étaient plus qu'une immense ombre s'étalant dans la vallée.
Le village était situé dans un endroit abondant de plantes, de fruits et d'animaux.
Sur les deux versants coulaient des sources d'eau vive et les étangs étaient riches en poissons.
Profitant des dernières lueurs du jour, Ursila rangea ses récoltes dans des urnes de terre cuite. L'hiver allait bientôt s'installer. De nombreuses provisions de poisson fumé, de viande séchée, de pains de lichen, de céréales, de pommes sauvages et de baies de myrtilles, de mûres, de sureaux avaient été constituées et stockées dans des vases de terre cuite. Dans de profondes celliers étaient mis en réserve glands, faines et noisettes.
Le clan des tailleurs de silex alluma un grand feu pour éloigner les loups et les gloutons.
Les meilleurs silex provenaient de la région de Spiennes ou d'Obourg, il fallait parfois aller chercher loin le support d'une hache ou les pointes résistantes des lances. Ursila était experte pour, d'un coup sec, tailler les silex en forme d'animaux et pour tanner les plus belles peaux de castors, d'hermine, parfois d'écureuil au vair si chaud. Sa tunique de peau et de fourrure était ornée de petits cailloux taillés rappelant la tête d'une chouette.
Quand les peuples du Sud traversaient leur territoire boisé, ils aimaient échanger les silex taillés en forme d'animaux contre de l'ambre de Baltique ou du basalte.
Ursila pria les esprits de la forêt. De l'Est menaçait le danger des peuples qui possédaient la puissance du fer, détruisaient les villages de leurs armes plus résistantes que les sagaies pourvues de silex.
Ces guerriers féroces s'imposaient déjà dans le Nord et L'Est de leur puissance, arrachant la forêt pour cultiver, brûler. Avec la puissance venait la haine, la destruction, la domination et la fin de cet équilibre que les peuples entretenaient avec la nature."
 Texte, dessin et photo : S. Butaeye. Merci!