2 juin 2023

Forêt de Soignes, forestiers et trompes de chasse, liens d'histoire et de traditions

Nous l'avons vu au détour de quelques articles ainsi que sur cette page, la forêt de Soignes a été miraculeusement préservée tout au long de son histoire - du moins jusqu'à la révolution belge - alors même que, dès le XIe siècle, l'Europe vivait une phase de défrichements intenses, en raison notamment de l'augmentation de sa population, de l'extension des villes et du développement de l'agriculture.

Préservée jusque là par quel miracle? Par le fait qu'elle était patrimoine seigneurial, pardi! 

En effet, dès 1200, elle appartient aux ducs de Brabant. C'est cette appartenance qui la préservera de (presque) tous défrichements durant des siècles, jusqu'à ce qu'elle devienne propriété des Pays-Bas et de la Société Générale, devenue "de Belgique" après la révolution de 1830.

Chaque grande ville considérée comme puissante a alors sa spécificité : Brugge et Antwerpen sont d'importantes places commerciales, notamment grâce à leur port et leurs banques, Gent et son industrie textile, Leuven et son université, etc. Bruxelles quant à elle se définit dès le Moyen-Âge comme le siège politique et ville de pouvoir.

Or depuis le bas Moyen-Âge et durant tout l'Ancien Régime, posséder une forêt était pour les ducs, princes, rois et empereurs, source de revenus d'une part, mais aussi - et peut-être surtout - insigne de pouvoir et de prestige : les tapisseries des Chasses de Charles Quint (aussi connues sous le nom des Chasses de Maximilien), conservées au Louvre, montrent bien le faste des chasses durant lesquelles le pouvoir et les richesses s'expriment sans retenue.


La vénerie, ou chasse à courre, précisément, a imprégné de ses marques de prestige la forêt de Soignes et ses environs : depuis le château de Tervuren jusqu'au village de Boitsfort qui "s'est construit comme une base arrière des chasses à courre" (cfr sources en fin d'article) dont elle a été le théâtre durant des siècles. En se penchant sur le patrimoine de Watermael-Boitsfort, d'ailleurs, on en trouve de nombreuses traces depuis son blason jusqu'aux toponymies de nombreuses voiries ou de noms de bâtiments : le centre culturel La Vénerie, pour ne citer que cet exemple, est abrité dans les anciennes dépendances de la Vénerie ducale, le long de laquelle se trouve Hondenberg, l'une des plus anciennes voiries de la commune; "Mont des Chiens", référence aux meutes de chiens menées durant ces chasses. Jagersveld, drève du Cor de Chasse, avenue de la Fauconnerie, rue du Grand Veneur, autant de noms évocateurs, liste non-exhaustive.

La forêt de Soignes a donc un lien intime avec la vénerie, de même que l'Administration des Eaux et Forêt dont sont issues les trois administrations forestières régionales actuelles.

L'instrument roi de la vénerie, la trompe de chasse (et non le cor de chasse), est l'emblème de feu l'administration des Eaux et Forêts et est encore de nos jours représenté, entrelacé de ses feuilles de chêne, sur les insignes des ingénieurs et gardes forestiers des régions wallonne et bruxelloise. La trompe a également un lien fort avec notre forêt, comme le montre cette photo du cantonnement de Watermael-Boitsfort datant de 1902.



Et la trompe n'a pas seulement un lien solide avec notre forêt de Soignes, mais également avec Watermael-Boitsfort : le répertoire comporte quelques fanfares qui lui sont dédiées (fanfare étant le terme utilisé pour les morceaux de musique), telle la Rendez-vous à Watermael-Boitsfort.

Un cercle bruxellois de trompes de chasse y a également eu ses quartiers pendant longtemps : le Cercle Royal Saint-Hubert de Bruxelles.

Le Cercle Saint-Hubert de Bruxelles a été fondé en mai 1882 par Max de Villers Grandchamps et Emile Jacquemain avec la volonté, entre autres, de sonner la messe de Saint-Hubert à l'église du Sablon, à Bruxelles, le 3 novembre suivant. Ce qui fut fait, donc, et cette prestation a très vite figuré comme engagement dans chacune des versions des statuts du cercle jusqu'ici.
En Belgique, toute association ayant plus de cinquante ans d'existence devient royale, de là son appellation actuelle.


Et s'il vous vient la bonne idée de visiter l'église du Sablon, vous découvrirez les armoiries du cercle sur les vitraux situés à droite du chœur :





Deux gardes forestiers, M. Pierret et votre serviteur
en entrainement au cœur du Monument des Forestiers
Forêt de Soignes, Uccle
Parallèlement à la continuité des activités du cercle, une école de trompe a vu le jour à Watermael-Boistfort dans les années '90, tout d'abord dans le garage de son initiateur, et ensuite dans le pavillon forestier de Notre-Dame de Bonne-Odeur. La perte de deux piliers de l'école et du CRSH a stoppé les activités de l'école et réduit les activités du cercle. Jusqu'à ce que son secrétaire actuel le ressuscite il y a quelques années. Inspirés par cette photo de nos collègues du début du XXe siècle, deux forestiers du service bruxellois - dont votre serviteur - se sont lancés dans l'apprentissage de cet instrument pour rejoindre le cercle bruxellois.




Et depuis, le cercle a vu ses effectifs enrichis de quelques nouveaux débutants et s'est même féminisé, grâce à l'arrivée de trois dames!

Si bien qu'aujourd'hui, le cercle a à nouveau son école qui se réunit une fois par semaine dans le bâtiment de l'administration forestière à la Petite Espinette, à Uccle (en attendant de retrouver un local à Boitsfort) et qui profite de chaque manifestation en lien avec la forêt de Soignes pour se produire en public : journées de la forêt de Soignes en automne, Rouge-Cloître en Fête au début de l'été ou activités de la Fondation de la Forêt de Soignes.

Car là aussi, le lien est fort entre la trompe de chasse et la fondation : cette dernière a vu ses premières années d'existence placées au poste de secrétariat Unesco pour "les forêt primaires ou anciennes de hêtres des Carpates et d'autres régions d'Europe", constitutives d'un patrimoine sériel classé à L'Unesco (94 entités à travers 18 pays européens, dont 3 entités en Soignes). Or "l'art musical des sonneurs de trompe de chasse" a, dans le même temps, lui aussi été classé au Patrimoine immatériel de l'Humanité à l'Unesco!


Le CRSH lors des 20km de Bruxelles en 2021
Photos : J.F. Hanssens

Lors des messes de Saint-Hubert en l'église N-D des Victoires du Sablon en 2021 et 2022
     

Et dans les salons du Cercle Gaulois après la messe de Saint-Hubert de 2022


Ou encore lors des Journées de la forêt de Soignes en 2021 (notez la présence de trois forestiers en uniforme!) et en 2022
(Photos : Thierry Lampe)






Sources bibliographiques:

- La forêt de Soignes. Sous les feuilles, l'histoire (20 promenades pour se mettre au vert) - Isabelle Douillet-De Pange & Alain Robyns - Ed. La Renaissance du Livre (2023)
(Ne manquez pas de vous plonger dans la riche littérature existante sur notre forêt. Liste non-exhaustive sous l'onglet Bibliothèque)
- Chroniques de Watermael-Boitsfort n°39 (juin 2017) - Asbl Histoire et Sciences à Watermael-Boitsfort