24 septembre 2024

Journée de la Forêt de Soignes







Le 20 octobre aura lieu la septième édition de la Journée de la Forêt de Soignes.

Au cours de cette journée, une foule d'activités seront proposées au départ des différentes portes de la forêt de Soignes, sur les trois parties régionales. Diversité d'acteurs (services forestiers, associations, guides-nature ou guides touristiques, etc) pour une grande diversité d'activités : balades guidées, expositions, démonstrations, musique et nous en oublions certainement.

Ce sera également l'occasion de rencontrer les différents acteurs, gestionnaires et partenaires qui participent à la gestion de ce massif forestier d'exception.

Votre serviteur sera présent pour deux activités :



Une balade guidée autour du vallon des Enfants Noyés au cours de laquelle vous serez amenés à (re)découvrir l'histoire de la forêt, et mieux connaître ses fonctions, sa gestion, les objectifs visés et les grands défis à relever durant la durée du plan de gestion actuel, pour la forêt de demain. En fonction de ce qui nous sera offert, nous pourrons observer faune et flore.





Une démonstration de trompe de chasse qui me permettra, avec "Les Échos de Soignes", l'école de trompe de Bruxelles, de présenter l'instrument,  ses répertoires et son histoire, intimement liée à celle de la forêt de Soignes.





Davantage d'informations sur cette journée ainsi qu'un programme détaillé sont disponibles sur le site de la Forêt de Soignes.


Au plaisir de vous y rencontrer.


11 août 2024

Une mygale en Soignes?

Un constat n'est pas neuf : le simple fait d'évoquer le mot "araignée" a souvent pour effet de mettre du monde en tension. Est-il dès lors difficile d'imaginer quelques cheveux se dresser si je parle de la présence d'une espèce de mygale dans notre forêt de Soignes?

Je ne résiste pas à cette tentation car, à la faveur d'un séjour du service forestier bruxellois en forêt de Retz (Hauts-de-France) ainsi que lors d'animations avec des enseignants et leurs élèves en Soignes, constat est fait que la présence de l'espèce est souvent méconnue, y compris des forestiers eux-mêmes.

Avant de faire les présentations, il apparaît indispensable de déconstruire certaines sources de malentendus à la base de la crainte des araignées : sur les quelques 300 espèces d'araignées présentes sur le territoire régional bruxellois, un nombre infime est en capacité de nous mordre et de percer notre épiderme. Mais avant tout, le premier réflexe de nos araignées est de fuir le contact avec l'humain. Et, puisque l'araignée se sert généralement de ses crochets pour attraper ses proies et que nous ne sommes pas à son menu, si morsure se fait ce ne sera que pour se sortir d'une situation périlleuse : une prise en main un peu trop ferme, ou une contrainte maladroite dans un vêtement pas exemple. Mais même dans ce cas, elle ne délivrera pas ou très peu de venin : il lui est trop cher, coûteux à métaboliser et indispensable à la capture de ses proies - et encore une fois : nous ne sommes pas une proie pour les araignées! "Surtout, ne pas gaspiller!" est donc la règle.  Accessoirement, de nombreuses légendes urbaines sont à déconstruire, mais d'autres l'ont fait avant moi et mieux que je le pourrais (cfr rubrique 'Sources' en bas d'article).

Mais alors notre mygale?

Les araignées sont réparties en deux ordres principaux : les aranéomorphes et les mygalomorphes. Les premières présentent des chélicères (crochets à venin) fonctionnant à la manière de pinces qui se croisent horizontalement de l'extérieur vers l'intérieur. Les secondes ont des pièces à venin parallèles, fonctionnant - pour schématiser - verticalement, comme des marteaux, de haut en bas (plus précisément d'avant en arrière).

Source : Dunod, à la découverte des araignées

Et c'est à cet ordre qu'appartient la mygale commune (Atypus affinis, pour les scientifiques), aussi appelée mygale à chaussette.


La belle est beaucoup moins impressionnante que ses cousines tropicales : la femelle mesure moins de deux centimètres et le mâle la moitié! Le thorax et la tête sont noirs, luisants et dépourvus de poils tandis que l’abdomen est plus clair et présente un aspect légèrement velouré.

(Photo : © Yves David)


 


S'il devait être nécessaire de vous rassurer, sachez que les chances (certain.e.s diront, malgré mon préambule, les malchances ou les risques) de croiser une mygale commune sont très minces : la dame ne vit pas dans nos maisons, ne fréquente pas nos jardins (à moins que, par miracle, il présente les qualités de son habitat très particulier), mais dans des terriers qu'elle creuse dans des sols forestiers bénéficiant de suffisamment de lumière diffuse et d'un bon drainage, avec une couverture légère de végétation, essentiellement composée de mousse et de bruyère. Elle ne quitte quasiment jamais son terrier, si ce ne sont les juvéniles en quête de leurs propres terrains, et les mâles en quête de femelles. et ni femelles ni mâles - donc a fortiori les minuscules juvéniles - ne sont en capacité de nous mordre.

Mais pourquoi "mygale à chaussette"?

Parce que notre araignée, qui vit donc dans un terrier, le tapisse d'un tube de toile dont l'extrémité pend à l'extérieur à la façon d'une chaussette de quelques centimètres en général, mais qui peut mesurer jusqu'à 10 cm, soit près de la moitié de la longueur de la partie souterraine. Cette "chaussette" est fermée, la mygale se postant en affût en son sein, à l'entrée du terrier, attendant le passage d'une de ses proies qu'elle attrapera à travers la toile et qu'elle traînera à l'intérieur pour la consommer tranquillement. Les proies sont principalement constituées de cloportes et de coléoptères.



Sur de bonnes stations, il peut y avoir plus d'une dizaine de chaussettes par mètre carré.

2 juin 2023

Forêt de Soignes, forestiers et trompes de chasse, liens d'histoire et de traditions

Nous l'avons vu au détour de quelques articles ainsi que sur cette page, la forêt de Soignes a été miraculeusement préservée tout au long de son histoire - du moins jusqu'à la révolution belge - alors même que, dès le XIe siècle, l'Europe vivait une phase de défrichements intenses, en raison notamment de l'augmentation de sa population, de l'extension des villes et du développement de l'agriculture.

Préservée jusque là par quel miracle? Par le fait qu'elle était patrimoine seigneurial, pardi! 

En effet, dès 1200, elle appartient aux ducs de Brabant. C'est cette appartenance qui la préservera de (presque) tous défrichements durant des siècles, jusqu'à ce qu'elle devienne propriété des Pays-Bas et de la Société Générale, devenue "de Belgique" après la révolution de 1830.

Chaque grande ville considérée comme puissante a alors sa spécificité : Brugge et Antwerpen sont d'importantes places commerciales, notamment grâce à leur port et leurs banques, Gent et son industrie textile, Leuven et son université, etc. Bruxelles quant à elle se définit dès le Moyen-Âge comme le siège politique et ville de pouvoir.

Or depuis le bas Moyen-Âge et durant tout l'Ancien Régime, posséder une forêt était pour les ducs, princes, rois et empereurs, source de revenus d'une part, mais aussi - et peut-être surtout - insigne de pouvoir et de prestige : les tapisseries des Chasses de Charles Quint (aussi connues sous le nom des Chasses de Maximilien), conservées au Louvre, montrent bien le faste des chasses durant lesquelles le pouvoir et les richesses s'expriment sans retenue.


La vénerie, ou chasse à courre, précisément, a imprégné de ses marques de prestige la forêt de Soignes et ses environs : depuis le château de Tervuren jusqu'au village de Boitsfort qui "s'est construit comme une base arrière des chasses à courre" (cfr sources en fin d'article) dont elle a été le théâtre durant des siècles. En se penchant sur le patrimoine de Watermael-Boitsfort, d'ailleurs, on en trouve de nombreuses traces depuis son blason jusqu'aux toponymies de nombreuses voiries ou de noms de bâtiments : le centre culturel La Vénerie, pour ne citer que cet exemple, est abrité dans les anciennes dépendances de la Vénerie ducale, le long de laquelle se trouve Hondenberg, l'une des plus anciennes voiries de la commune; "Mont des Chiens", référence aux meutes de chiens menées durant ces chasses. Jagersveld, drève du Cor de Chasse, avenue de la Fauconnerie, rue du Grand Veneur, autant de noms évocateurs, liste non-exhaustive.

La forêt de Soignes a donc un lien intime avec la vénerie, de même que l'Administration des Eaux et Forêt dont sont issues les trois administrations forestières régionales actuelles.

L'instrument roi de la vénerie, la trompe de chasse (et non le cor de chasse), est l'emblème de feu l'administration des Eaux et Forêts et est encore de nos jours représenté, entrelacé de ses feuilles de chêne, sur les insignes des ingénieurs et gardes forestiers des régions wallonne et bruxelloise. La trompe a donc un lien fort avec notre forêt et les forestiers, comme le montre cette photo du cantonnement des Eaux & Forêts de Watermael-Boitsfort datant de 1902.



Et la trompe n'a pas seulement un lien solide avec notre forêt de Soignes, mais également avec Watermael-Boitsfort : le répertoire comporte quelques fanfares qui lui sont dédiées (fanfare étant le terme utilisé pour les morceaux de musique), telle la Rendez-vous à Watermael-Boitsfort.

Un cercle bruxellois de trompes de chasse y a également eu ses quartiers pendant longtemps : le Cercle Royal Saint-Hubert de Bruxelles.

Le Cercle Saint-Hubert de Bruxelles a été fondé en mai 1882 par Max de Villers Grandchamps et Emile Jacquemain avec la volonté, entre autres, de sonner la messe de Saint-Hubert à l'église du Sablon, à Bruxelles, le 3 novembre suivant. Ce qui fut fait, donc, et cette prestation a très vite figuré comme engagement dans chacune des versions des statuts du cercle jusqu'ici.
En Belgique, toute association ayant plus de cinquante ans d'existence devient royale, de là son appellation actuelle.


Et s'il vous vient la bonne idée de visiter l'église du Sablon, vous découvrirez les armoiries du cercle sur les vitraux situés à droite du chœur :





Deux gardes forestiers, M. Pierret et votre serviteur
en entrainement au cœur du Monument des Forestiers
Forêt de Soignes, Uccle
Parallèlement à la continuité des activités du cercle, une école de trompe a vu le jour à Watermael-Boistfort dans les années '90, tout d'abord dans le garage de son initiateur, puis dans le pavillon forestier de Notre-Dame de Bonne-Odeur. La perte de deux piliers du CRSH a stoppé les activités de l'école et réduit les activités du cercle. Jusqu'à ce que son secrétaire actuel le ressuscite il y a quelques années. Inspirés par cette photo de nos collègues du début du XXe siècle, deux forestiers du service bruxellois se sont lancés dans l'apprentissage de cet instrument pour rejoindre le cercle bruxellois.




Et depuis, le cercle a vu ses effectifs enrichis de quelques nouveaux débutants et s'est même féminisé, grâce à l'arrivée de trois dames!

Si bien qu'aujourd'hui, le cercle a une nouvelle école : "Les Échos de Soignes". Nous nous réunissons une fois par semaine dans le bâtiment de l'administration forestière à la Petite Espinette, à Uccle (en attendant de retrouver un local à Boitsfort) et profitons de chaque manifestation en lien avec la forêt de Soignes ou des association qui y travaillent pour nous produire en public : anniversaires de l’ASBL Timber et prochainement celui de l'ASBL Cheval & Forêt, journées de la forêt de Soignes en automne, Rouge-Cloître en Fête au début de l'été ou activités de la Fondation de la Forêt de Soignes.

Car là aussi, le lien est fort entre la trompe de chasse et la Fondation : cette dernière a en effet vu ses premières années d'existence placées au poste de secrétariat Unesco pour "les forêt primaires ou anciennes de hêtres des Carpates et d'autres régions d'Europe", constitutives d'un patrimoine sériel classé à L'Unesco (94 entités à travers 18 pays européens, dont 3 entités en Soignes). Or "l'art musical des sonneurs de trompe de chasse" a, dans le même temps, lui aussi été classé au Patrimoine immatériel de l'Humanité à l'Unesco!


Le CRSH lors des 20km de Bruxelles en 2021
Photos : J.F. Hanssens

Lors des messes de Saint-Hubert en l'église N-D des Victoires du Sablon en 2021 et 2022
     

Et dans les salons du Cercle Gaulois après la messe de Saint-Hubert de 2022


Ou encore lors des Journées de la forêt de Soignes en 2021 (notez la présence de trois forestiers en uniforme!) et en 2022
(Photos : Thierry Lampe)






Sources bibliographiques:

- La forêt de Soignes. Sous les feuilles, l'histoire (20 promenades pour se mettre au vert) - Isabelle Douillet-De Pange & Alain Robyns - Ed. La Renaissance du Livre (2023)
- Chroniques de Watermael-Boitsfort n°39 (juin 2017) - Asbl Histoire et Sciences à Watermael-Boitsfort


(Ne manquez pas de vous plonger dans la riche littérature existante sur notre forêt. Liste non-exhaustive sous l'onglet Bibliothèque)

26 juin 2022

Hêtraie cathédrale, patrimoine historique et paysager de la forêt de Soignes

Notre forêt de Soignes est essentiellement connue pour sa hêtraie cathédrale. Mais qui peut dire aujourd'hui, parmi les promeneurs et utilisateurs de la forêt, ce que signifie réellement cette appellation, ou pourquoi, comment, quand et par qui ce type de peuplement* a-t-il été créé?
Dans une large mesure, le promeneur sait que nos peuplements de hêtres résultent de vastes plantations datant de la période autrichienne et poursuivies ensuite. Mais beaucoup d'entre eux pensent que le hêtre ne serait présent en forêt de Soignes que depuis cette période, qu'il aurait été importé par les Autrichiens.

Essayons d'y voir plus clair


Comme expliqué dans la rubrique "Histoire & Patrimoine" et dans un précédent article, la forêt de Soignes telle que nous la connaissons aujourd'hui est ce qui reste d'un massif forestier présent dans notre région depuis la préhistoire. Lorsque, à la fin de la dernière glaciation (10000 ans), la forêt a pris place à la suite de la steppe et la toundra, le chêne a longtemps été l'essence* dominante de nos forêt. A la faveur de l'exploitation des chênes au Moyen-Âge et du climat atlantique de nos région, le hêtre s'est progressivement imposé : de tempérament sciaphile* dans le jeune âge et bénéficiant de l'ombrage des autres essences - le chêne dans ce cas-ci, dont le feuillage permet à la lumière d'atteindre le sol - le hêtre va se développer à l'ombre de la futaie* claire. Mais ce dernier présente deux caractéristiques qui vont lui offrir un net avantage face au chêne : il pousse plus vite, plus haut et son feuillage est plus dense, son houppier peu perméable à la lumière ! Une fois qu'il a dépassé ses voisins, ceux-ci n'ont plus qu'à disparaître.

Le hêtre ne dit pas "Bonjour" au chêne : il lui dit "Adieu", dira un forestier.
Si le chêne est le roi de la forêt, le hêtre en est la reine, dira un second.

Cependant, si le hêtre se trouvait alors dominant, la forêt n'avait pas du tout ce visage de cathédrale : c'était un patchwork de placettes de hêtres, avec quantité d'autres essences aussi bien dans l'étage dominant que dans les étages intermédiaires, avec du bois mort en travers, des trouées dans lesquelles s'installaient des fourrés de régénération naturelle, etc.

Mais alors, comment sont nées ces fameuses cathédrales de hêtres?


Au début du règne autrichien, la forêt de Soignes était dans un état critique (selon les gestionnaires d'antan) du fait de sa surexploitation durant des siècles, pour le bois de construction, le bois de guerre et le bois de feu, la production de charbon de bois, le tout sans plan de gestion appliqué, et donc sans aucun programme de plantations (l'application des premiers plans de gestion forestière mis en place sous Charles Quint a été bouleversée par les différentes guerres qui ont secoué la région). Mais ce n’est pas tout : de nombreux droits d’usages permettaient aux habitants des hameaux avoisinants de venir en forêt de Soignes y ramasser le bois, "mort-bois" et bois de chauffe (affouage), et prélever de menus produits, entre autres le droit de glanage - ramassage de glands, faines et autres fruits des bois pour se nourrir (farines) ou nourrir le bétail - et droit de pâturage (aussi appelé pacage) des moutons et cochons (panage), privant ainsi la forêt de sa capacité à se régénérer naturellement et entraînant un tassement des sols.

C'est dans la seconde moitié du XVIIe siècle que Joachim Zinner, aménagiste autrichien, a été désigné pour restaurer les massifs de la forêt de Soignes. Il a appliqué une méthode de sylviculture du hêtre, dite « tire et aire » permettant de produire un maximum de volumes de bois de hêtre, excellent bois de construction (parquets, escaliers, portes, etc) avec un minimum de défauts et en un minimum de temps.

Son plan de gestion est simple :
  • Reboiser/restaurer des zones en friche sur plus de 1000 ha
  • Planter par bandes successives (de 30 ha) de nouveaux peuplements après abattage du peuplement résiduel, procéder de même dans les peuplements à maturité
  • Planter une seule essence : le hêtre (quoique des documents semblent attester qu'il plantait toujours d'autres essences sur 20% de la superficie)
  • Plantations à forte densité : plus de 2500 plants/ha, soit moins  de deux mètres entre chaque arbre (les écarts entre les plants étaient compris entre 1,5 et 2m); tous les arbres ont le même âge
  • Première éclaircie* opérée à 80 ans
  • Abattage du peuplement à 110 ans, avec maintient d'au moins 30 arbres par hectare comme arbres d'ensemencement
  • Ensuite on recommence via une régénération naturelle, complétée si nécessaire par des plantations.

Ci-dessus et ci-contre: plans de J.Zinner
(Source : Bruxelles Patrimoines)


Ces plans montrent bien le caractère régulier de ses peuplements : parquets réguliers et successifs au sein desquels les arbres ont le même âge, permettant une planification des interventions (élagages, éclaircies, récolte) de façon systématique.
C'est l'illustration-même de la notion de futaie régulière

Le jeune peuplement ainsi mis en place suit une phase de compression à l'ombre de la réserve. Cette réserve est ensuite abattue pour laisser place à la phase de croissance de la futaie*, cela permettant également de récolter des bois de grosses dimensions.
Alors que la phase de croissance permet le développement des houppiers* et la croissance en diamètre des arbres, la phase de compression vise, elle, à favoriser la croissance verticale et l'élancement des arbres :

Photo : La forêt de Soignes
Connaissances nouvelles pour un forêt d'avenir (cfr. Bibliothèque)
Cette phase imposait une concurrence importante entre les arbres : le hêtre ayant un houppier dense, son feuillage laisse passer peu de lumière dans le sous-bois. Les arbres surcimés (dépassés par leurs voisins) s'étiolaient, stagnaient ou mouraient, privés de lumière. Et pour finir, cette concurrence extrême a eu pour effets de forcer l'élagage naturel* et d'amener les arbres à développer un port* élancé et étroit, au tronc "propre" et à la cime étroite.
La forêt alors, comme nous le montre la photo ci-contre, n'a pas belle allure. "Elle ressemble à un magasin de cannes" lit-on à l'époque (Source : La forêt de soignes - Connaissances nouvelles pour une forêt d'avenir).


Enfin, Zinner - ou plutôt ses successeurs, puisque le temps forestier dépasse le temps de l'Homme - exploitait ses peuplements au stade "Gros bois" pour redémarrer une nouvelle phase de régénération. Ensuite, le terme d'exploitabilité* a été reporté à 130 ans, et ce n'est que pendant une petite poignée de décennies, dans le stade "très gros bois", que la hêtraie dite 'cathédrale' s'exprime dans sa splendeur.

RN=régénération naturelle; RA= régénération artificielle
Chablis= arbre basculé par le vent



Et finalement, ce que nous en connaissons aujourd'hui résulte du maintient de ces peuplements au delà des 110 ans initialement prévus, et bien au delà des 130-150 ans de vitalité des hêtres. En effet, dès le tout début du XXe siècle, le secteur tertiaire se développant, la forêt s'ouvre à la promenade et à la détente des bruxellois - du moins ceux des catégories sociales pouvant se permettre de se détendre en forêt.

Rapidement, de nombreuses voix s'élevèrent contre la gestion de la forêt et les abattages importants en coupes à blancs*. Les arbres ont alors atteint des dimensions impressionnantes, tant en hauteur qu'en diamètre.
La régularité des peuplements - les lignes des plantations étant encore visibles ça et là - ainsi que la rectitude des troncs leur font ressembler aux colonnes des cathédrales dont le toit, formé par les cimes des arbres au feuillage si dense, laisse filtrer la lumière comme à travers des vitraux.
C'est ainsi que l'appellation "Hêtraies cathédrales" naît dans l'esprit de l'école de peinture de Watermael-Boitsfort et au sein de la très jeune Ligue des Amis de la forêt de Soignes qui naît en 1910.

Aujourd'hui, en de nombreux endroits, sommes-nous encore véritablement dans une cathédrale? Les peuplements sont arrivés au stade dit d'effondrement : des arbres sont tombés, ont cassé, les trouées se sont agrandies au fil du temps et des épisodes de grands vents successifs, laissant ça et là de micro-clairières internes permettant le développement de la ronce, puis des bouleaux, des saules, et progressivement des hêtres ou des érables. C'est tout bénéfice pour la biodiversité, mais que reste-t-il du patrimoine classé?




L'avenir nous met face à de nombreux défis pour la gestion de la forêt de Soignes : réchauffement climatique, gestion du patrimoine historique et paysager de notre sylve. Il est opportun de se poser quelques questions avant d'envisager le futur :
Qu'en est-il réellement de notre hêtraie cathédrale aujourd'hui?
Qu'en est-il de son avenir si l'on prend en compte les prévisions du GIEC quant à l'évolution de notre climat au terme de (désormais moins de) 100 ans?

Quelques pistes de réponses dans un prochain article.

SOURCES:
- Cfr l'onglet Bibliothèque
- Bruxelles Patrimoine
NB : les termes techniques marqués d'un astérisque renvoient vers le lexique sous l'onglet "Sylviculture"
Merci à F. Vaes, ingénieur principal, chef de cantonnement, pour sa relecture, ses précisions, et l'apport des citations des deux forestiers.

8 février 2022

Indice Kilométrique d'Abondance ("IKA" pour les intimes)


Depuis plusieurs années déjà, nous pouvons régulièrement lire, voir et entendre dans les médias les témoignages de signes inquiétants de diminution de la population de chevreuils dans notre belle forêt (cfr réf. en fin d'article). On fait référence dans ces articles à l'indice kilométrique d'abondance, à l'élaboration duquel les services forestiers des trois régions gestionnaires du massif participent depuis 2008 sous la coordination de l'asbl Wildlife and Man, où collaborent les centres de recherches DEMNA (Région Wallonne) et INBO (Région Flamande).

Indice Kilométrique d'Abondance, très bien, mais c'est quoi?

Nous ne possédons pas de données précises sur le nombre de chevreuils présents sur l'ensemble du massif sonien. Si l'on se penche sur la littérature, les chiffres oscillent, selon les sources et les périodes, entre 150 et 300 chevreuils pour les 4600 ha (estimation de 250 chevreuils en 2008).

La raison de cette imprécision relève de la difficulté de procéder à un recensement exhaustif : il faudrait une armée d'observateurs qui puissent parcourir le massif "en tirailleurs" - c'est à dire en lignes parallèles espacées entre elles de plusieurs centaines de mètres - et qui enregistreraient chaque observation. Un tel investissement en temps et en personnel rend la méthode difficile à mettre en place. Difficile et fortement perturbante pour la faune.

L'IKA est, comme tout indice, un outil statistique. Il représente la moyenne du nombre de chevreuils observés par kilomètre (nombre de kilomètres parcourus divisé par le nombre de chevreuils observés). Si l'on ne peut connaître le nombre précis et absolu de chevreuils, on a cependant grâce à l'IKA un outil de suivi de la population qui permet, au fil des répétitions, d'en suivre les tendances d'évolution.

Indice Kilométrique d'Abondance, très bien, mais comment?

Un maillage de vingt-cinq parcours a été établi en 2008 sur l'ensemble du massif, ces parcours de 4,1 km à 6,2 km se jouxtant de proches en proches. Quatre fois par an (plus une fois par des bénévoles de Natagora), durant le même mois, le même jour, à la même heure et pendant le même laps de temps, chaque parcours est emprunté par un opérateur qui marchera à allure modérée, jumelles en main et regard scrutateur. À chaque poste où un(des) chevreuil(s) sera(seront) observé(s), l'opérateur notera le poste sur la carte et remplira le tableau en indiquant l'heure de l'observation et la constitution du groupe : nombre d'animaux, sexes et stades si identifiables, et - si les animaux prennent la fuite - la direction en sera indiquée sur le plan afin de recouper les éventuels doubles comptages. Pour cela, il est également essentiel d'indiquer le sens parcouru par l'opérateur.

Matériel : Carte et stylo, jumelles, télémètre, montre (ou smartphone sur silencieux), farde de protection en cas de pluie

  
  











Les données d'observations ainsi récoltées par chaque opérateur sont ensuite centralisées et analysées par les scientifiques du DEMNA et de l'INBO.

Quelles sont les conclusions?

Si jusqu'en 2014 cette population de chevreuils semblait relativement stable, nous constatons depuis plusieurs années une baisse significative du nombres d'observations récoltées. Quelques pistes ont été explorées par les scientifiques : développement du sous-bois par l'installation de régénérations naturelles de la forêt, les fourrés de jeunes arbres représentant un obstacle visuel rendant plus difficiles les observations, mais également la fréquentation sans cesse croissante du public au sein du massif. Dès les premières années déjà, alors que nous opérions nos comptages au lever et au coucher du soleil, nous avons dû rapidement nous résigner à abandonner ces derniers : la forêt était fréquentée jusque tard dans la soirée par de nombreux promeneurs, cyclistes et joggeurs. Nous avions également dû nous résigner à abandonner deux parcours sur lesquels aucun chevreuil n'avait été observé.

Mais ces dernières années, nous constatons que cette fréquentation se fait également de plus en plus tôt en journée : dès l'aube naissante, les promeneurs, mais également les navetteurs à vélo, sont déjà nombreux sur les parcours et leurs abords.

Aujourd'hui, les scientifiques se prononcent pour conclure à une diminution des observations liées à une diminution de la population de chevreuils, couplée à des observations rendues plus compliquées du fait du développement du sous-bois. Si les causes de cette diminution de la population sont multifactorielles, la surfréquentation de la forêt serait belle et bien la principale cause de la chute des observations du chevreuil en Soignes, par la perturbation des animaux, la réduction des espaces de quiétude et de refuges, et peut-être une conséquence en terme de baisse de natalités.

Un profond dilemme se présente dès lors : deux fonctions essentielles de la forêt de Soignes (la fonction sociale et récréative d'une part, et la fonction écologique d'autre part, deux fonctions pourtant conciliables) semblent soudain entrer en opposition. D'autant que, rappelons-le, le chevreuil est la partie visible de l'iceberg de la diversité animale en forêt et que, si sa population est impactée, les populations des autres espèces le sont probablement aussi (mustélidés et rongeurs, oiseaux nicheurs au sol ou près du sol, oiseaux d'eau, reptiles et amphibiens).

Quelle solution apporter à cette situation? Adopter les "bons gestes" présentés par la Fondation Forêt de Soignes dans le cadre de l'action "Tous ensemble pour la forêt de Soignes" dont la première édition a eu lieu a eu lieu en 2021 et qui sera reconduite le 20 mars prochain dans le cadre de la Journée Mondiale de la Forêt. Parmi les bons gestes sont encouragés le fait de tenir les chiens en laisse et de rester sur les chemins.


Je remercie S.Vanwijnsberghe et F.Vaes pour leur relecture.

Sources :

Mission d'appui pour la mise en place d'un recensement des chevreuils dans le massif sonien - Rapport final (2008)

Bruxelles Environnement (rapport disponible en bas de page)

Fondation de la forêt de Soignes

Natagora

Coupures de presse :

Bruxelles Environnement

Communiqué de la Fondation de la forêt de Soignes

RTBF (06/02/2017)

Le Soir (28/02/2018)

La Première (04/11/2021)

BX1 (04/11/2021)

Le Soir (04/11/2021)

Dernière Heure (05/11/2021)

La Capitale (04/11/2021)


6 février 2022

Bonne année 2022

 

Dessin affiché au parking des Enfants Noyés au lendemain de la Journée de la Forêt de Soignes (Édition 2020)

L'année 2021 aurait sans doute pu être pire, gageons que 2022 sera meilleure!


(Merci à l'auteure de ce dessin, laissé affiché jusqu'à ce que les intempéries aient raison de sa fragilité)

2 octobre 2021

Journée de la forêt de Soignes 2021

 


C'est ce 17 octobre 2021 qu'aura lieu la journée de la Forêt de Soignes.

Comme lors des éditions précédentes, de nombreuses activités, démonstrations et visites guidées seront organisées au départ des portes d'entrées situées sur les trois régions de la forêt de Soignes.

Le rendez-vous final se fera, comme l'année passée, au Centre d'Arts de Rouge-Cloître, à Auderghem.

Le programme continue de s'étoffer, il est consultable sur la plateforme de la fondation de la forêt de Soignes

Comme l'année passée, je propose deux activités sur la journée, et je participerai à une troisième :

10 h : Promenade guidée

RdV au parking des Enfants Noyés (croisement drève des Tumuli et drève du Comte (Prox. arrêt STIB "Coccinelles", et De Lijn et TEC "Hippodrome")

Je présenterai tout au long d'une promenade autour du vallon des Enfants Noyés un aperçu historique de la forêt, les différentes fonctions qu'elle a été amenée à remplir au cours de son histoire jusqu'à nos jours, ainsi que les objectifs visés par le plan de gestion bruxellois et les défis à relever face au changement climatique. Enfin, en fonction de ce qui nous sera éventuellement possible d'observer, je parlerai de sa biodiversité animale et végétale.

Durée : +/- 3 h (< 3km)


14 h : Action de gestion

RdV chemin des Deux Montagnes, au croisement du sentier du Vuylbeek et du sentier des Endymions (prox. parc Tournay-Solvay, jardin potager et verger)

Sur le site néolithique de Watermael-Boitsfort, gestion de la régénération naturelle des bouleaux et saules en faveur du développement d'essences telles que le pin sylvestre, le mélèze, le douglas, le hêtre, le chêne et le châtaigner, essences privilégiées sur ce site.

Prévoir vêtements solides et gants (présence de ronces)

Durée : 1h30


16 h : Démonstrations de trompe de chasse

RdV devant le centre d'art de Rouge-Cloître

Le Cercle Royal Saint Hubert de Bruxelles fera une prestation dans la cour faisant face au centre d'art et à la maison du Prieur. Un de mes collègues gardes forestiers et moi-même, désireux de retisser les liens que cet instrument a longtemps connu avec la forêt de Soignes et notre métier, faisons partie de ce très vieux cercle de trompe de chasse.

Instrument représenté sur le blason de l'administration forestière en région wallonne et en région bruxelloise, la trompe a en effet été traditionnellement sonnée par de nombreux gardes forestiers.


Cantonnement des Eaux et Forêts de Watermael-Boitsfort
1902


25 septembre 2020

Journée de la Forêt de Soignes 2020


Autre événement à retenir : le 18 octobre 2020

Ce jour-là se tiendra la quatrième édition de la Journée de la Forêt de Soignes, revue  ici aussi exceptionnellement dans une version "light", privée des grands stands d'accueil et de sa soirée festive que nous avons connus les années précédentes. Un accueil intimiste donc, en différents lieux répartis sur les trois régions pour des ateliers, démonstrations et visites dont le programme est encore en préparation.

L'agenda des activités se remplit petit à petit, il est conseillé de le consulter régulièrement jusqu'à sa conception finale.


D'ores-et-déjà, j'aurai le plaisir d'animer deux activités :

Le matin :

Une visite guidée de +/- 3km autour du vallon des Enfants Noyés qui me permettra de vous présenter les multiples facettes qui font de cette forêt un patrimoine d'exception, ainsi que vous faire connaître les raisons de sa gestion à travers ses différentes fonctions.


L'après-midi :

Une action de gestion sur le site néolithique de Watermael-Boitsfort. Il s'agira de gérer la concurrence qu'exercent les bouleaux sur la régénération naturelle de pins, de mélèzes et des autres essences (chênes, hêtres, châtaigniers, houx) à privilégier sur la grande clairière qui a résulté de l'exploitation du vieux peuplement de hêtres qui pré-existait.


Pourquoi avoir exploité les hêtres sur ce plateau? Quel type de peuplement cherchons-nous à obtenir? Dans quel but? Ces questions n'auront plus de mystère pour vous au terme de ses activités.

Mes collègues ne seront pas en restes puisque Martine Coulon guidera une balade contée à Rouge-Cloître.




Et ce fut un franc succès : en dépit des circonstances, les différentes activités ont rencontré un vif intérêt de la part du public.

De mon côté, il y avait foule à la visite guidée du matin.

L'activité de gestion proposée l'après-midi a été réalisée avec l'aide d'une douzaine de personnes enthousiastes.

31 août 2020

Rouge-Cloître en fête

Après une trop longue absence, et devant le témoignage d'intérêt accordé à mon blog, je reprends le suivi.

Et en attendant une série d'articles de fond sur la Hêtraie Cathédrale, sa gestion et les défis auxquels celle-ci devra répondre face au changement climatique, je vous invite à noter ceci dans votre agenda :



Les 13, 20 et 27 octobre 2020

En raison de la crise sanitaire, il a été décidé d'annuler la fête annuelle de Rouge-Cloître telle qu'elle était organisée les années précédentes.

Cet événement d'envergure se verra cependant remplacé par une série de weekend d'événements plus "intimistes", rassemblant différentes activités autour de ce merveilleux site.





Voici le programme des festivités prévues :


A vous y rencontrer.